Le fer roulait, le manège d’acier chantait un bruit intermittent, une répétition à l’identique d’un haut levé puis un bas donné de marteau de forge. Itération d’un son retombant se relevant, sans issue, verrouillé dans une succession obsessionnelle de coups à l’identique : tac tac…..tac tac. La sédation des vibrations vêtait les esprits d’une hypnose imbécile. Les bogies, écrasés par le poids des wagons, fuyaient sur les rails qui plongeaient en trompe l’œil dans un horizon lointain, noyé par le relief et la profondeur. De part et d’autre du trapèze de basalte, une étendue de friche et de champ habitée par une nature morte, morte par l’absence de signe, morte par l’absence d’une existence, dérangeante par son immédiateté, vivante par son empressement à être immobile, figée dans les gouttelettes du soleil qui affûtent le batifolage des insectes et brasillent sur la carapace des arthropodes. Incompréhensible vanité des raphias et des figuiers, heureux dans leurs magistrales solitudes. Tout semblait railler le regard spécieux des voyageurs et célébrer en même temps, dans ce paysage, la lassitude de l’essentialité, le geste pleutre d’un nuage, le moignon séculaire d’une branche d’olivier. Peut-être qu’une âme côtelée, inégale comprendrait que c’est un grand oui à la vie. Un oui écru sans fil ni aiguille pour suspendre la tâche bleue du ciel. Mais rien ne donne accès à la compréhension de ce bonheur pour celui qui est dans l’attente d’arriver, arriver pour repartir comme si le présent était immérité.
Relégués sont-ils au dernier wagon, au passé mauvais, la relégation est mieux que l’exil quand l’alliance tombe et laisse une trace. Mais la virole cède et menace le pedigree, Il reste alors à faire son chemin dans le mollusque Ensis et en prendre exemple, car c’est mieux d’avoir la chair couverte d’os, le derme à nu fini souvent par donner à la bouche le goût alcalin de la truelle.
Au virage la déchirure, assourdissant arrachement des ornières qui peinent à garder l’empattement, la force fugue prenant les corps au collet de leurs rêves, les tirants vers le chambranle glabre de la vitre. Inertes, persévérants sous la tutelle de l’attente, les regards vacillent sans intensité, réfléchissant l’éclair fade d’une bêche qui a longtemps renoncé à ameublir la terre, soudain un murmure, trahit par un friselis d’émotion,………… Je ne voulais pas vous faire de la peine…………......Les yeux pervenche piqués au visage regardaient de biais, vers le bas, cherchant à détrousser une souffrance, une impuissance à faire que ce qui est arrivé ne fut jamais. Le galbe est encore transfiguré par les séquelles d’une folie que le voyage a fini par guérir, les fanons tombent comme un pendule qui s’arrête, la peau blanche émaillée de rouille. La cendre aux joues rappelle un ancien bonheur éteint. Mais l’annonce qu’une vie peut être un échec qui dure, est là, présente, entièrement. Le chuchotement continue……………, je n’ai pas réussi, j’ai préféré la fierté à l’amour, longtemps j’ai visité ces mêmes instants pour m’apercevoir que je n’étais en fait que transi d’orgueil.................la main translucide et fuselée quitte alors le genou pour aller se glisser à l’intérieur de la veste, un moment éternel peut être, avant que le geste à rebours ne sorte un papier plié………Tiens lis………….le papier est échangé, les regards pourtant ne se croisent pas, perdus sur les coteaux, repris par la marche longue et mesurée des poteaux électriques qui traversent les collines et les champs. Une main jeune déplie la lettre.
Paris, 14 avril 1986
Cher Papa,
À mon arrivée à l’aéroport d’Orly, je n’ai eu aucun mal à reconnaître ton ami Gaullard. Il était là à m’attendre, une pancarte à la main avec mon nom inscrit dessus. Disons que la photo que tu m’avais montrée avant mon départ de Tanger, ne rend, ou à peu de chose près, aucun de ses traits actuels : bien empâté, une calvitie déclarée et une rousseur assez prononcée sur le visage qui auréole gentiment le faciès d’un bon vivant.
Nous avons déjeuné ensemble dans un bistrot, un endroit agréable puis il m’a raccompagné à l’appartement qu’il m’a trouvé en colocation avec un portugais étudiant en langues étrangères dans une Université pas loin des sciences humaines là où je me suis inscrit.
À présent, bien que je demeure un peu troublé par ce grand Paris, mon existence s’est nettement améliorée et surtout mieux organisée de sorte qu’actuellement, j’ai davantage de temps libre que j’emploie à la lecture et l’écriture quand je n’ai pas bien sûr, des travaux à préparer en relation avec mes études. Ici j’éprouve un réel plaisir, un attachement qui reste encore indescriptible pour la rigueur scientifique des cours.
Papa, tu sais bien que mon voyage à l’étranger n’avait pas pour seul but de continuer mes études, mais encore de trouver la paix celle que j’ai toujours cherchée. Elle s’est révélée à moi il y a bien longtemps, mais la peur d’être réprouvé par les miens et par la société a fait que j’ai continué à vivre, à paraître faussement équilibré. Notre milieu me ramenait souvent à l’évidence amère, au prix de mon harmonie intérieure, que seule une effigie obéissante faisait le printemps chez les hypocrites, et pour y évoluer, je devais à chaque fois décider quoi et comment ressentir, sans jamais permettre à mon émotion de s’épanouir, celle-ci m’était censurée par les miens. Personne ne s’est enquis de ma souffrance, la probité morale et l’honnêteté n’avaient de valeur que si elles participaient à sauver les apparences. Comment nous guérir de cette mort ?
Maintenant s’en est fini papa, j’ai décidé de faire de ma vie un ressentit, donner un visage à mes émotions et pouvoir me regarder dans la glace, sans jamais me culpabiliser d’avoir trop attendu pour me réaliser. Je suis parti donc à la recherche de ce presbytère qu’un voisin de palier m’a indiqué. C’est drôle, une fois arrivé tout mon corps s’est mis à trembler, un vide m’enveloppa, j’allais presque rebrousser chemin. Mais non, me suis-je dit, combien de temps ai-je attendu ce moment, impossible de faire marche arrière. Alors j’ai frappé à la porte et attendu un long instant avant que celle-ci ne s’ouvre. C’était, tel qu’il était habillé certainement un ouvrier qui faisait des travaux à l’intérieure de l’église. J’ai demandé après le pasteur, il ma prié d’attendre le temps qu’il aille le chercher. La porte est restée légèrement entrouverte, pour m’apercevoir de la douce sobriété des lieux, de la lumière bleutée du vitrage qui se posait légèrement sur l’éclairage tamisé de la pièce lovée dans une senteur de bois noble. J’ai entendu des pas qui venaient vers moi, puis ce sourire qui sortait agréablement de ce col romain. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, grand de taille, un front qui gâtait un peu le visage sous des cheveux d’ébène malgré l’âge. Il me pria d’entrer et m’invita à m’asseoir, puis dès qu’il m’a posé la question de ce qu’il pouvait faire pour moi, j’ai commencé à pleurer, mes trémolos m’empêchaient de parler tellement ému que je fusse. Après qu’il soit parti me chercher un verre d’eau, il s’est légèrement penché sur moi, m’a soulevé le menton de sa main droite et m’a demandé ce qui se passait. Alors dans une force libératrice jamais soupçonnée, des années réprimée, je lui répondis :…. Je veux accueillir Jésus dans ma vie….Il se redressa, s’immobilisa un laps de temps, fit deux pas en arrière et s’assit sur une chaise et me dit :…….mon fils sais- tu vraiment ce que tu veux !........…..Oui père, répondis-je, je veux accueillir Jésus dans ma vie…..Alors son visage s’illumina, et sans se départir de sa gravité sincère, embroussaillée par des sourcils drus, il revint alors vers moi lentement, j’entendis même le froufrou de sa robe noire, me pris par l’épaule m’imprimant un léger mouvement qui nous amena tous les deux à nous agenouiller sur le sol, comme s’il présageait un tremblement de terre……..Ta famille est…………….Musulmane rétorquais-je……………l’Islam est aussi une bonne religion lorsqu’on en fait un bon usage, n’est-ce pas mon enfant ?Et d’ailleurs, en quoi ton intimité avec le divin changera-t-elle que tu sois chrétien ou musulman ?................Peut être que vous avez raison, j’ai usé de toute ma tête pour ne pas éveiller de soupçons sur ma conduite cultuelle, et maintenant d’une manière tout à fait contraire vous me demander implicitement, d’argumenter ma foi, n’est-ce pas cela étrange père ! La foi doit-elle rendre des comptes à la raison ?............Son visage se relâcha, lesté de toute nuance, seule une présence vive marquait son regard……..Soit mon fils ! Approche : Crois-tu que Jésus est le Fils de Dieu ?...........Oui, je le crois………..Crois-tu que Jésus est mort sur la croix pour tes péchés ?..........Oui, je le crois……..Crois-tu qu’il est ressuscité pour t’assurer la vie éternelle en Lui ?.........Oui, je le crois………Répète maintenant après moi : Seigneur Jésus, je T’invite à entrer dans mon cœur maintenant et à me sauver. Merci Père.
Quelle paix papa j’ai sentie alors dans mon cœur ! Moi qui ai traversé pendant des années des chemins obscurs à l’envers du monde, me voilà renaissant inondé par le bonheur, je regardais mes mains, les glissais sur mon buste et touchais mon visage, comme pour accueillir une résurgente superficialité. Me voilà enfin emplis de moi-même libéré du joug de l’Homme.
C’est ma vie papa. J’espère que tu comprendras l’engagement de mon frère Mikaël.
Ton fils qui t’aime.
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