Dans un pli où la vie s’acharne à exister, une contenance traverse les rues par le cérémonial ancien du salamalec. Drapée dans le lierre, elle arpente les boyaux des chemins fatigués aux murs impies étranglés par l’obscurité, là où vacillent les ombres hantées par la peau au goût de sel. Le cœur larmoyant de sang sur la terre aimée, hier est aujourd’hui un fini commencement de promesses, de mémoires encore lestées de leurs éraflures inapaisées.
J’ai menti à cet être peut-être que c’était moi en fin de compte, alors il est parti sans demander empruntant les escaliers sculptés dans la falaise, à l’ombre d’un parfum de menthe et d’absinthe.
Mon père est dans les champs abruti par le miel chaud du soleil m’a-t-il rappelé, ses veines sont nouées dans les écorces des oliviers, dis lui que les chemins bâtis par mon pays aucun ne m’a conduit chez moi, les demeures édifiées par les hommes aucune ne m’a vraiment abrité, seul peut être les impétueux ressacs des lames et l’embrun de l’océan enroberont pour bientôt et à jamais les indices annonciateurs de ma liberté.
Ma mère est derrière les haies de nopal, elle guette la piété sauvage, là où le ciel se mélange à la mer où les sarcophages se vident et s’emplissent d’espoir. L'attente creuse l’hiver dans son cœur, ses mains sont gercées de pain et de sel. Demain quand la terre aura lâché son dernier soupir un commis de l’état frappera à sa porte un bol de cendre à la main, enduits tes lèvres absoutes de sourires, ton fils est dans l’incessant bruit des mers.
Je suis né de cette liqueur séminale qui remplie les entrailles des êtres assoiffés de langage annulé pour couvrir de cannelle les mythes et les mémoires faites de feuilles de pierres et d'épines, raie dorsale des corps azurés. Suis-je d'une différence insolite m'a-t-il dit, pour que ces regards s'accrochent sur chaque mouvement de ma vie, pour que ces yeux se suspendent à mon caddy, à la mousse de bière quand elle couvre mon duvet. Puis viennent les croisements sur les trottoirs, les reprises insignifiantes de phrases de politesse, des mots oui juste des mots pour à qui mentirait le plus le lendemain. Rien enfin n'est définitif, les corps continuent à déambuler dans la réserve des Homo sapiens assaillant du regard leurs congénères débitant des prévenances hypocrites, remontant la mèche pour attiser leur moelle épinière, trou d'évacuation d'une misérable nature.
Il m'a dit, et c’est peut-être encore moi, qu'il était en quête de la paix pour contempler le cadastre des âmes depuis le récif de sa solitude que la soie des vents n’arrive plus à adoucir. Laissez-moi à l'abri de cette giboulée souffrante d’épidermes lacuneux et désappris qui n'a d'égard que pour les escarres froides des identités aveugles, reprenez vos scripts administrateurs des visages égarés dans le cortège zodiacale d’un ciel assombri, puis abandonner moi sur les margelles asexuées des secondes, car seuls les hommes qui ont fait le choix pour un temps d’abandonner leurs raisons peuvent vous dire la vérité.
Pourquoi écrits tu ces mots en ces jours réversibles à l’insu des temps en travers de l’éternel ? Pourquoi as-tu laissé le monde entré en effraction dans mon esprit, ai-je trop vécu dans cette ville ? Pourtant j’ai l’âge des personnes qui trépassent.
Maintenant je pars. Il ne cesse de partir. Je ne suis pas coupable, je retire les clous de mes paumes, les épines de mon front, je descends de la croix, ma plante touche la terre, trop de sang. أنا عيسى أبن مريمDans mes veines de sable coule la rage de Vésuve couvrant de lave brûlante les sicaires de l’altérité, de la diversité, je ne m’assiérai plus sur la chaise de l’aveu j’ai suffisamment gerbé cette merde cette pituite jaune, je désapprendrai les règles de l’ego cette ombre fantôme utile pour le renoncement au présent, tout ce que j’ai appris est faux, qui es-tu ? Où vas-tu ? Je prends le chemin du retour vers l’Univers mon seul créateur, met ma foi dans le Vide unificateur des essences invariantes des choses, cesse mon adoration pour le Plein, désempli ma boite osseuse du manège de rosaces en billet vert, en or noir, en guérisseur du trou d’ozone, en sauveur de baleine. Ceci est ma véritable connaissance car infondée, dépeuplée, je quitterai volontiers ce monde où le glouglou de l'évier et la chasse des fosses d'aisance ont plus d'écho que les mots d'amour et de vérité.
Une crise il m'a dit, oui tous les hommes en sont atteints parait-il, c'est le seul moment de leur vie au cours duquel la raison ne leur fausse pas compagnie. Ils entrent dans une sorte de convalescence morale, un genre de rituel qui les initie au passage de la mort à la résurrection. Alors ils s'arrêtent de se débattre comme des fous dans leurs camisoles de force et partent en haut de la colline surplombant la terre d'Antée pour assister, en dépit de leurs souffrances, à la débâcle de leurs idéaux, à tout ce à quoi ils ont cru pendant un demi siècle. Un lâcher prise formidable s'emparent d'eux, plus que ne pourrait supporter un dieu, pour les aider à laisser mourir leurs meilleurs pensées et dont l'issue n'en est pas moins douloureuse car ils finissent par croire à l'évidence à leurs solitudes et à la certitude de l'absence d'une quelconque ordalie, ils sont finalement seuls responsables de leurs actes.
Ce sont alors des hommes libres que tu vois dévaler sur le flanc de la colline, heureux d'avoir accepter que tout ce qui "Est" est pour eux mais pas à eux, heureux d'avoir étendu leurs champ de conscience aux confins de la vie, aux frontières de la mort.
L’empreinte d’une mémoire autrefois en argile fraîche balbutie encore sur mes lèvres.
Je sais que mes souvenirs seront à jamais estampillés par les moments de vie que j’ai passé à la médina.
Mes yeux emplis sans le vouloir du visible ordinaire, devenaient soudain perméables à la beauté de ces lieux. L’humidité des sentiers passait au travers de mes souliers pour alléger mes pas, mon regard était fixé sur ces murs fatigués par tant d’histoire et sur ces maisons tellement proches les unes aux autres que le soleil a fini par les répudier.
Mais il était un peu tard, le muezzin annonçait déjà la prière du crépuscule et Tanger s’apprêtait à nous dévoiler ses yeux de jais. Les ruelles n’étaient pas encore silencieuses et la lumière cuivreuse et somnolente des réverbères à peine éclairait hommes et femmes qui s’affairaient à leurs dernières courses du quotidien avant la fermeture des commerces.
Je m’apprêtais moi aussi à prendre congé de la médina et m’étais engagé dans la rue Gzenaya quand une musique cadencée et ancestrale m’attira vers l’alcôve des chants. Je me suis approché alors d’un pas léger vers cette porte déjà ouverte, ornée de gros clous et d’un heurtoir en anneau de fer, elle était d’un vert éclatant qui cachait mal les fêlures du temps et la vermoulure du bois.
Quelques femmes et enfants serrés comme une botte de foin regardaient à l’intérieur de ce qui semblait être un grand patio revêtu de tapis de jonc colorés, où mon attention flottait déjà creusant l’espace pour m’imprégner de l’ambiance des lieux.
Ma curiosité de savoir ce que c’était cet endroit fût rapidement assouvie par l’un des rares hommes qui s’y trouvait : j’étais au seuil de la confrérie des Hmadchas, une zaouïa dans notre langage courant où les adeptes se prêtent à des animations mystico-religieuse, pratiquent l’ascèse individuelle en chantant des psalmodies selon l’enseignement du fondateur de la confrérie Sidi Ali Ben Hamdouche. Un saint homme qui vécut au 17ème siècle sous le règne du souverain marocain Moulay Ismail.
Le dialecte étrange de la musique et l’odeur chaude de l’encens qui habillait l’atmosphère donnaient la mesure à mes pensées et m’appelaient à tremper dans l’ambiance comme un morceau de pain blanc qui tombe dans un ragoût. J’ai décidé alors de franchir le seuil pour communier avec ce rituel.
Pendant que je descendais les marches d’escaliers, le bruit des ruelles se distançait de moi comme le sifflement d’un train qui s’éloignait, la tiédeur placentaire du dedans se substituait doucement à l’air frais du dehors. Puis la dernière marche fût comme le cliquettement d’une clé dans une serrure. J’étais pris dans les remparts d’un temps lointain qui s’apprêtait à disposer de mon devenir, pour y produire le vécu d’une graine des champs emportée par le vent.
Intimidé par ce lieu inhabituel je me mis à traverser, les pieds déchaussés et un peu perdu, ces tapis de jonc de mer usés constellés de femmes voilées.
Une place clémente accueillit mon corps affaissé par la densité de l’air, où mon épaule fût à peine éloignée d’un joueur de hautbois assis en tailleur sur une peau de mouton. En musicien averti, il portait déjà à ses lèvres lourdes la languette en roseau de son instrument pour l’humidifier de sa salive et créer de temps à autre, au passage de son souffle, une vibration claire et nasillarde. Ses amis compositeurs chauffaient patiemment sur un brasero la peau d’animal de leurs petits et grands tambourins. Ensemble ils attendaient sous le regard assoupi des visiteurs le signe du maître de cérémonie. L’homme n’avait pas un visage neutre, il était habillé d’une djellaba blanche à rayures jaune, un jaune lunaire qui a éclairé le chemin de ceux qui sont venus jusqu’à la zaouïa, un sentier plein de tourment et de passions perdus. Il embrasait une poignée d’herbe morte et mystérieuse dans son kanoun dont le crépitement prémonitoire annonçait pour bientôt le déchaînement des corps enclavés par l’émotion et la peine.
A travers la multitude des présents, des femmes en procession allumaient une bougie puis, mêlant de multiples syllabes aux arômes mystiques de l’air, la déposait au milieu d’une alcôve. Leurs silhouettes s’entrecroisaient sur les murs dont les couleurs arabesques s’efforçaient en vain à éveiller les regards voilés par l’arbitraire et que la raison allait bientôt quitter. D’autres femmes, le visage défait par une épreuve récente de la vie, empoignaient les pates d’une volaille aux plumages noirs, une couleur inconsciente appartenant à l’autre côté du monde plein de pouvoir et d’inconnu. Elles attendaient la levée d’une tenture pour entrer dans une pièce où la vie ne revient pas aux offrandes.
A peine avais-je commencé à chercher dans les regards un visage avenant, qu’un roulement de tambourin chauffé par le son nasillard du hautbois fendit le silence comme un éclair lézardant le ciel. Le claquement sec des doigts sur la peau des tambourins et le souffle des musiciens me rappela avec étrangeté les reliefs hostiles et impétueux des montagnes du Rif, les sentiers tracés par le passage des hommes et des muletiers, les couleurs cendrées des eucalyptus, les hivers sans tendresses attisés par les vents du nord.
Quand la musique devint plus rythmée, ses vibrations commencèrent à se blottir contre le torse des présents. En tête de bélier le battement des sons cherchait à faire céder cette étrange forteresse qui gardait les âmes innocentes et crédules, s’efforçait à enjamber les esprits ingénu et naïf pour prendre possession de leurs substances, palpait les personnes émues dépositaire de leurs mélodie pour déloger, avec un pouvoir enivrant, des recoins cachés et sombres de leurs corps, les djinns qui les auraient peut être habités. Progressivement, à mesure que la musique s’élevait dans les esprits, la frontière entre le raisonnable et l’arbitraire s' estompait. Soudain, prise de convulsions animal, une femme poussa un cri strident, d’autres furent arrachés de leur séant pour aller encenser leur corps au milieu de la zaouïa, leurs cheveux d'ébène prenaient de plus en plus de volume et voltigeaient dans les airs. La mort vécue dans l’âme elles ondulaient dans l’espace exprimant leur désir triste et sombre de chasser les injures de la vie.
Les plus éveillées d’entre elles pénétrèrent dans le plateau pour les aider à se ressaisir, mettre au dessus de leurs hanches de grand foulard blanc écru et fluide, enserrant par le milieu leur corps obscure et éthéré manière de pacifier la relation de la terre à l’esprit.
Pendant ce temps, le maître de cérémonie, en connivence avec ses acolytes musiciens, les sens ouverts aux milles frémissements, engageait un périple étudié, son geste était sensuel, son mouvement coloré, et ses paroles incantatoires bien mesurées. Un lègue de plusieurs décennies d’expériences qui donne aux partisans de la confrérie l’illusion qu’ils allaient bientôt échapper aux revers des temps et des années.
Quand la musique s'arrêta brusquement, les femmes s’écroulèrent comme si le sang avait gelé dans leurs veines. Puis, à leurs côtés, les plus proches se sont agenouillés pour épurer leur souffrance et leur malheur.
Epilogue
Moi j’étais là, j’observai. Les sensations que j’ai éprouvé alors n’étaient pas angoissante ni assurément agréables et bien que je n’aie aucune notion des principes fondateurs de cette confrérie, je sentais autour de moi un pouvoir dont l’essence était, sans aucun doute, plus étendue que son enseignement et qui disposait les croyants, confinés dans l’ignorance et l’égarement, à transcender leur religion véritable.
Je me suis senti aussi comme cet étranger qui venait d’ailleurs, celui dont l’origine n’était pas si sûre et qui regardait avec tolérance cet événement comme une curiosité culturelle.
A part le fait que nous ayant la même histoire et que nous appartenons à un même peuple plus que millénaire, je me demandais ce que je faisais là ! Quel rapport avais-je avec ces gens !
Certes, je ne crois peut être pas à ce genre de manifestation qui caractérise une frange de notre société pourtant je me demande, bien que l’abord soit différent, si leur attitude n’est pas aussi semblable à la mienne ou par exemple à celle de ce banquier qui, malgré sa rigueur et son approche méthodique, ne peut éviter de consulter son horoscope ou de cocher quelquefois six numéro dans une grille d’un bulletin de Loto en espérant décrocher le jackpot pour corriger les infortunes de la vie ! C’est un comportement stylé plus distingué, je vous l’accorde, mais le mensonge à soi demeure le même!
Il m’est donc bien évident de dire que chacun de nous croit bien à quelque chose, nos chemins sont peut-être dissemblables mais le but demeure le même, vivre heureux, longtemps et surtout en bonne santé.
J’ai pris cette photo en 2013 avec une Nikon D60. J’ai réalisé plusieurs captures dans l’attente qu’un léger souffle du vent daigne agiter les mèches d’une frange timidement effilée pour donner un semblant de mouvement.
Spontanément, pas loin du phare qui scelle et domine la baie de Tanger, la maîtresse de mes jours s’est appuyé sur cette balustrade en bois vieilli par la volonté douce et conjuguée du temps, des éléments, le vent chargé d’embrun, le soleil de lumière.
Autour de nous, le reste de l’espace est silencieux, repu de mythe encore en chair, de récits allégorique d’Héraclès, des premières traversées par les hommes du détroit de Gibraltar.
Le ciel bleu azuré où les nuages reposent désormais à l’horizon, nous appelle au repos, à écouter le chant du ressac, l’appel des vagues qui échoient sur le brisant.
Le col de sa veste en cuir marron châtaigne est dressé soutenant son regard batifolant sur la plage et les édifices de sa ville natale.
Chaque fois que je garde cette photo, une satisfaction, une gaieté renouvelée, jeune, dépoussiérée de tout âge m’envahit, je suis content d’avoir immortalisé cet instant, un moment de fragilité intense, une trêve avec les aléas de la vie, le combat tragique de tout corps féminin en lutte contre la perte de fertilité, une dépression ponctuée de moment intense de lucidité ineffable.
Je rends hommage à mon épouse et à toutes les femmes qui, à un certain âge, traversent ce moment douloureux de la vie.
Ma voie dans l'écrit me conduit à Tanger, ma ville, mais je ne suis pas encore sûr, car parfois j'ai mal quand j'arbore cette parure de citadin domestiqué en arabe musulman, arpentant les rues de la médina les mains balans, le pas muet, le cœur gercé par l'oubli, peinant à croire à la mosaïque de l'instant, refusant d'accepter que l'autre est déjà en moi, insensible à la mouvance combien vaste de mes identités.
J'aurais peut être mieux fait de rester chez moi, repoussant toute expérience qui aurait la velléité de me mêler, de me décentrer loin de ma zone de confort où calmement je proclamerai "Moi-Je...Moi-Je...Moi-Je" jusqu'à ce que les espaces antérieurement ouvert et accueillant deviennent grave et inquiétant, le regard fripé, les coins sombres murmurant de leur folies mourantes "Majnoun Tanja...Majnoun Tanja".
Majnoun, oui Majnoun, cet homme sans mémoire encore en chair, les yeux en berne cachés par le capuchon de son bzou, la peau terreuse et grave, écaillée par les épreuves du temps, le regard rapiécé par les non dits, par les représailles des silences scélérats qui empoisonnent le corps, debout dans un jardin de pierres brisées par les sabots ferrés des colonisateurs, suppliant les sentinelles de le laisser traverser les remparts pour aller chercher sa fille égarée, accusée d'avoir découcher. Mais accuse-t-on une rivière en crue d'être sortie de son lit pour aller perler dans les entrailles de sa mémoire?
Un moment…puis…de même que des cheveux éteints tombent oubliés par les vents, de même je m'effondre dans mon sofa. Une voix semblable à un clapotis de lèvres me traversa l'esprit, c’était des mots à l’image des fumerolles magmatiques échappant aux crevasses des lippes, on peut rester vingt ans dans cette ville, disait la voix, à regarder par nos yeux sans pouvoir jamais étancher la soif ardente du cœur.
Calme et résigné à aimer un souvenir passé, je quitte cette sombre demeure pour aller chercher les mots qui chaulent les ruelles et s’y resserrent pour qu’elles soient plus denses, écouter les voix qui s'échappent, grimpent sur les remparts, s'appuient sur les arcades des portes pour donner la parole aux hommes engoncés dans leurs belgha et djellabas blanche, clamant La Ilaha Illa Lah , je passe par des venelles paresseuses comme une langue pâteuse qui se réveille par la rumeur des passants.
Les commerces débordent, les regards lèchent, le sacré se relaie d'un coin à l'autre, d'une confession à l'autre. L'ambiance enfle, les duvets trempent dans du thé à la menthe, les visages se mouchent dans les mains pour priser le tabac, le vent d'Est s'entête à balancer le linge blanc sur les terrasses, le marbre des hammams miroite sous l'eau chaude coulant des étuves, les chemins vides puis en crue de la médina avancent en calligraphie arabe, la tiédeur s'endort au pied des murs où je trempe par moment mon calame pour continuer l'illusion de l'image par l'écriture. L'ombre et la lumière se relèvent et scintillent comme des oriflammes portés par des guerriers arabes sur leurs cheveux de guerres clamant au fort du combat la désaccoutumance du peuple à l'écrit.
Je me mêle à la foule, née d'une même blessure, vais et vient dans les profondeurs et par les entailles des demeures Tanger me susurre son histoire pour que je dispute sa mémoire à la mort.
Je sais, je n'aurais peut être pas la chance de croiser un concitoyen sépharade, un ami espagnol, les surprendre quitter leur maison pour aller s'embrancher comme moi dans les articulations de la cité. Longtemps ils sont restés, puis en un jour ils sont tous partis. Laisser moi crier leurs noms : Benjio !!! Antonio !!! Mercedes !!!Molina !!!
Lové par les vents, je sors du ventre de la médina pour aller au toit de la falaise goûter au safran du soleil, fermer les yeux pour voir naître Tanger dans la blancheur des vagues qui viennent caresser l'âme de leur tourterelle et recouvrer sa virginité, puis rugir, le ressac plein d'écumes prêt à lacérer les corps de ceux qui ont osé barbouiller son rimmel
Cette photo je l’ai prise à Amtoudi (140 km de Tafraout). C’est un village qui se trouve sur le flanc sud-ouest de la chaîne montagneuse de l’Anti-Atlas, tapi dans la profondeur des gorges. Les habitants sont berbères, des Id Aissa. Bien que rarement citée par l’histoire du pays, cette localité est célèbre par ses impressionnants greniers, des Agadirs comme il est coutume de les nommer, parmi les plus importants du Maroc.
La nuit, par la force de l’écho, emprisonné entre les parois verticales et spectaculaire de la montagne, le croassement des crapauds venaient à nous comme le son de quelques animaux d’une période géologique disparue.
Mais pourquoi cette photo ! Car des plus lointaines contrées que j’ai visitées, la nature a toujours porté l’empreinte des êtres humains. Dans le cas présent Le Culte.
Une nature vierge, seule a toujours dérangé, effrayé les Hommes, son espace et son immobilité les terrifie ! S’empressent alors à vouloir l’animer, à l’inonder de signes et de totem pour la ployer à leur volonté.
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Longtemps nous avons habité la médina chez mes grands-parents. Dar Baroud, lieu abritant notre demeure, fait partie des cinq quartiers formant cette enclave, un dédale de ruelles et d’impasses, un lieu d’oralité et de conte, de cris des mouettes et de cornes de brume des bateaux, de voix avachies par le vent de l’est.
Soufflée par le courant des mers, une atmosphère vivante franchissait chaque jour les remparts pour venir ramollir nos corps et attendrir nos regards. Non loin de notre logis, un Café maure “Makina”, quelques quidams autour d’une table en bois, les lèvres humides à l’embout des Sebsis, les yeux fardés d’espoir lorgnaient tantôt le fond des verres qui contenaient suffisamment de thé pour noyer le désœuvrement et abjurer le malheur tantôt les cimes ibériques pour donner corps à leurs attentes.
Chaque fois que je franchis le passage pour aller à la rencontre de ce corps social, un sentiment doux de ne pas en être exclu émerge en moi. Un silence fortuné, opulent, assoupissait mes pas. On aurait dit que les habitants de ces lieux passaient leur temps à se recueillir, à lire le roman de leur vie à la mer, à se remémorer un fragment de souvenir raconté par le roucoulement des galets et des pierres. Il faut dire que cet espace traditionnel, affranchi de toute instance urbanistique, est presque un lieu privé, on venait que si on y résidait ou quelque affaires nous appelaient à y chercher un familier. C’était les maisons qui, au fur et à mesure de leurs sorties de terre, créaient, traçaient les passages de ruelle en venelle. Les habitations comme les fissurelles de la méditerranée sont incrustées dans la roche puis soudées côte à côte, torsadées, chevauchent quasiment les unes sur les autres, agrippant le souffle des vents enduis d’écumes et d’encens, disputant la lumière pour vaincre l’oubli et le revers des temps.
A mesure que j’évoluai dans les entrailles de la médina, le souvenir de mon grand-père, Bassidi, papy me vint à l’esprit, un homme probe, le plus délicieux des êtres que la vie m’a accordé de rencontrer sur mon chemin.
• Dis-moi Bassidi, pourquoi n'habitons-nous pas en ville?
• Écoute mon enfant, me répond-il, les gens qui habitent la ville sont indifférents à la religion. Habiter dans des avenues en lignes droites ou perpendiculaires affublées de sens, de directions est une offense à notre créateur car le sens nous est donné uniquement par Lui. Notre conception de l’espace est en tout égard respectueuse de notre croyance, celle de croire entre-autres au retour de notre prophète Issa fils de Mariam et laquelle croyance nous permet de porter en nous, avec joie cette dimension cachée de l’éternel retour, du temps répétitif et circulaire, comment donc avoir foi en cela et habiter des lignes rectilignes dont on n'en reviendra peut-être jamais! L’espace pourrait certainement influencer ton appartenance, mon enfant. Regarde notre médina ses venelles sont sinueuses, pleines de chicanes et d’impasses, les portes des maisons obéissantes à leurs maîtres, indifférentes aux étrangers, révélatrices de la catégorie sociale de leurs hôtes, alors quand quelqu’un nous demande après un lieu on lui communique uniquement l’emplacement mais jamais la direction, c’est de relais en relais en implorant l’aide de Dieu par la formule Inchallah et la sourate du Trône qu’il peut atteindre le lieu recherché.
Je l’écoutai avec fascination, nous avions un dieu intime mon grand-père et moi, il me conduisait chaque jour à Sa demeure car il avait les clés du château: un poste radio Philips en bois datant de la première moitié du XXème siècle où repose la technologie d’avant la deuxième guerre mondiale et une clé pour remonter l’horloge murale qui ordonnait les heures de prières. Chaque matin vers huit heures et demie je lui apportai l’escabeau pour allumer la radio, on écoutait ensemble la lecture du coran, puis il s’en servait pour examiner la détente du ressort de l’horloge, l’évaluation terminée, il me jetait un regard de satisfaction en me défaisant les cheveux avec la paume de sa main.
Quand je revisite ma mémoire et revois notre demeure, son carrelage vert floral affadi par le temps, l’escalier en balustres de fer forgé desservant le premier étage, les murs laiteux oubliés du soleil, je ne peux résister au souvenir de cet enfoncement sous la paillasse de l’escalier, une alcôve dont le seul usage était de recevoir “tbak” le panier de pain évasé surmonté d’un cône ouvragé de feuilles de doum. C’était un coin sacré, à l’heure des repas on allait chercher le pain presque avec cérémonie.
Le seul trait qui mettait notre logis sous une apparence occidentale, c'était le costume de mon père. Quand le soir arrivait et le vestibule plongé dans la pénombre, la porte s’ouvrait et mon père apparaissait. Il arborait fièrement cette armure de fonctionnaire, les chaussures propres, noires et formelles. Il n’était pas soucieux uniquement de sa mise mais attentif aussi à sa marocanité et africanité. Il venait d’une époque que je n’ai pas connue, le Protectorat et moi de l’Indépendance, que dire un monticule de sable face à une montagne! Mon père était sévère, je regardai seulement son visage pour recevoir le témoignage d’une affection ou d’une réprimande, à la maison il était pour moi l’homme par qui la civilisation et le monde m’était conté, il prodiguait et savait tout, il ressemblait à Gamal Abdennassar selon les dires de mon oncle ou Imad Hamdi selon ceux de ma mère mais jamais à De Gaulle ou à Pompidou.
Parfois le matin, j'essayais de me lever tôt pour mettre la carafe de lait au seuil de notre maison et attendre le passage des chèvres pour tirer le lait de leurs mamelles. Mais quand je m'oubliais au lit, des mains à la peau écaillée, nervurée par le temps, plissées comme un drap défait, venaient scruter mon matelas pendant mon sommeil, pour s'assurer si aucune eau chaude ne m'a réchauffée la nuit. L'échappée n'étant pas toujours certaine, les doigts osseux me pinçaient alors jusqu'à faire trébucher mes rêves. Cependant avant de filer à l'école, ma grande mère, pour se réconcilier avec moi après un réveil agité, me donnait un peu de pois chiche cuit à la vapeur au sel et au cumin.
Mais....dieu.....qu'est-ce que je pouvais des fois détester cette femme, elle avait les lèvres charnues à vous laisser une écume de salive sur la joue quand elle vous embrassait, elle pestait sans se lasser contre mon grand père, lui la candeur dans sa nature la plus absolue qui avait le cœur sur la main, prenait la vie comme elle venait. Certes, le commerce des bijoux fantaisie que pratiquait Bassidi ne lui permettait pas de rapporter suffisamment d’argent à la maison, aussi faut-il avouer qu’il n’avait d’intérêt que pour son chapelet dont il faisait passer les grains entre les doigts pour compter les jours qui lui restaient. Alors quand il empruntait chaque matin les chemins grêles de la médina pour aller tenir son commerce en fait c’était davantage pour méditer et rester en retrait des chamailleries du foyer. Mon père s’occupait du reste.
Le dévouement de mon grand père à sa famille, à son travail et la résignation de ma grand-mère à sa condition de femme au foyer, enracinaient encore et toujours un peu plus profondément ce sentiment d'immuabilité dans le temps, je les voyais réaliser chaque jour les mêmes fragments de gestes successifs, accomplis comme une promesse, pour s'acquitter de leur prières, remonter d'un mouvement de poigné l'horloge murale, bluter la farine, pétrir le pain, astiquer les théières d'argent et fourbir les lampes et les plateaux en cuivre.
Mon grand-père partageait assidûment mon chemin vers l'école. Il s'habillait de son traditionnel Jabador blanc, symbole d'appartenance à sa communauté, de son couvre chef en laine rouge cerise puis sa chaussure belgha qui n'a jamais cédée à une citadine et bien sûr sa jellabah grise et sa meilleure compagne une canne en cèdre. Qu'est-ce que j'aimais cet homme! Il m'a appris l'ambition de chercher à rester simple et modeste, sa propreté physique et morale a éclaté la blancheur de son linceul.
Notre chemin attirait sans cesse mon attention, on y sentait l'odeur des fèves et celle des haricots, des plats rustiques qui me rassasiaient. Les rues étaient sinueuses et irrégulières, les maisons se touchaient puis se séparaient faisant succéder l'ombre et la lumière alternant ainsi jusqu'à la place Dar Baroud.
Le quartier abritait des personnages distincts qui nuançaient l'ordre social et donnaient de l'importance et de la contenance à notre communauté.
Tourya la voyante, habitait à l'embouchure de la rue où elle offrait ses présages aux femmes en mal d'amours, ses recettes pour déjouer le mauvais œil, pour briser le cadenas des femmes récemment mariées et difficiles à dépuceler ou les maris qui n'arrivaient plus à la remuer. L'épicier Hamou, le fkih de l'école coranique et enfin le maître du four traditionnel qui jouissait du respect du voisinage car c'est en ce lieu que le pain du pauvre côtoyait paisiblement celui du riche.
Place Amrah était le passage obligé de tout un chacun de nous qui désirait accéder aux quatre portes parmi les sept de Tanger, Bab Haha, Bab Bhar, Bab Assa et Bab Kasbah. Cette place était bien connue par la somptueuse demeure Sidi Hosni de la richissime Barbara Hutton que les médias ont surnommés plus tard la pauvre petite fille riche.
Les nuits n’étaient pas toujours égales. Épaisses, elles transfiguraient nos ombres, étranglaient la lumière des réverbères accrochés sur les murs en décomposition, s'emparaient avec une délicatesse ténébreuse de mon malaise. Ma tête tanguait sur l'édredon comme une coquille de noix aux prises de la houle d’une mer agitée. En cherchant le sommeil j’imaginais ma mère assise auprès de moi, au bord du lit essayant de me couvrir jusqu’aux épaules puis déposer un baiser sur mon front. Bonne nuit mon chéri et fait de beaux rêves me disait-elle. Mais ce n’était qu’un rêve, elle n’était pas là, ne pouvait pas être là. C’était une affaire de grand paraît-il. Personne ne connaissait encore le langage des chaudronnés pour me l’expliquer sauf mon grand-père qui, tel un papillon, volait avec moi à la recherche d’un soleil meilleur.
Quand mon grand-père est parti dans les replis mystérieux de l'inapparent, je n’ai plus retrouvé l’escabeau pour allumer la radio et écouter le coran ni la clé pour remonter l’horloge murale et ordonner les prières. C’était ses bornes à lui pour s'amarrer à l’existence. Maintenant qu’il n’en avait plus besoin pourquoi les avait-il emportés avec lui? J’ai alors demandé à mon père qui m’a répondu avec une assurance lapidaire, à l’emporte-pièce sans qu’un seul pli de son visage ne vienne trahir un doute, que notre dieu intime avait le même âge que son adorateur Bassidi. Cette affirmation péremptoire me troubla un peu, elle cachait peut-être un malaise un non-dit, c’est à ce moment là que le rhizome religieux de mon paternel commença à m'intéresser, mais je ne voyais encore en lui que ce qui m’était accordé à voir, c’est à dire ce grand arbre qu’il représentait aux branches larges qui m’abritaient, parfois m’angoissaient mais aussi d’où j’ai fleuri après l’enfoncement orgasmique de ses lianes dans la terre, ma nourricière.
Après la disparition de mon grand-père Bassidi, mon père cru peut-être nécessaire de compléter mon éducation cultuelle! Ainsi, au commencement du mois sacré de ramadan il m’acheta la tenue réservée à l’occasion, Djellaba, Jabador, gilet et belgha. Certes, mon corps était encore silencieux, rien ne venait traverser mes lombes ni mettre à l’épreuve ma virilité, mais je me sentais déjà un homme! Un vrai! Aux vingt sixième jours du mois sacré, à la nuit du destin, nous sommes partis ensemble à la mosquée pour nous acquitter des prières qui conviennent à la circonstance.
Il faut dire que cela fait bien quelque temps que je savais que le dieu de mon père était un comptable, un administrateur de culte, un dieu de service qui distribuait les bons et les mauvais points. Rien ne venait cependant donner corps à mes soupçons, je voulais en avoir la certitude, la preuve et cette nuit je l’ai eu, car qui pourrait aimer un comptable!!
Après Salat Al ‘Ichae et les prières surérogatoires, il s’appuya sur ses genoux pour se mettre debout, plia son tapis et soudain d’une voix triste, irrépressible, telle une aigreur expulsée malgré lui par la contraction de son diaphragme, lasse d’être à chaque fois contenue il dit: ”Ouf c’est terminé!”. Cet aveu fut comme un lézard dans mon firmament! C’est la seule fois où j’ai ressenti de la pitié pour mon père, sa foi en dieu s'était brisé il y a bien longtemps, il en était malheureux, parti très jeune, séquestré par les vicissitudes de la vie, trop longtemps resté à guerroyer pour se ressouvenir maintenant sans coup férir du chemin du retour, une douloureuse tristesse le séparait de son pays natal, la voix mystique et sacrée de son peuple.
Les profondeurs de la médina m'ont appelé pour plonger dans mes souvenirs, pour écouter l'écho de la vie trépidante d'antan, pour enlever le pansement de ma blessure qui n'avait pas encore guérie.
Je reviens sur les pas de mon père quand il rentrait le soir le cœur palpitant de bonheur de nous revoir.
Je reviens sur les pas de ma mère quand elle venait supplier de la laisser voir ses enfants.
J'avais peur de changer. Mais maintenant la médina reconnaîtra l'enfant qu'elle a consolé.
Ils arrivèrent dans l’après-midi aux abords de la ville. De part leurs divers séjours dans le sud, Adam et son épouse Aïcha savaient que les gens du cru à cette époque du siècle avaient encore la foi en leurs terres, et la terre en retour les aimait et leur dispensait suffisamment de plantes et de pierres médicinales pour calmer leur maux et leurs douleurs. Demander en ces temps-là après une pharmacie au lieu d’un herboriste ou un apothicaire c’est comme si vous profaniez un lieu sacré.
Depuis la nuit des temps les peuples communiquaient avec cette Force Vitale, se sustentaient avec secret de son Principe Universel, le transmettait d’une génération à l’autre par une presque chorégraphie de gestes ancestraux saluant par leurs biais la naissance primordiale du monde.
Mais la science a vite fait de fanfaronner ses découvertes, prétendant ouvertement d’avoir démystifier le secret du cosmos, reléguant au fin fond de la mémoire des hommes les liens inviolables qui les unissaient à leurs terres. C’est ainsi que nos enfants ont emprunté le chemin des molécules chimiques et l’adoration des nouveaux dieux, Bayer, Pfizer, J&J…...
A l’arrière les jérémiades de Mikael avaient cessé, sa maman le divertissait et lui appliquait les remèdes de grand-mère qui ont fini par lui rendre le sourire et les couleurs. Dès que Adam s’arrêta sur les bas-côtés de la route pour s’enquérir de la situation, Ismaël n'attendit pas la permission de son père pour sortir, ouvrit la portière avant et se mit à courir dans les plantations avoisinantes. La famille était contente et soulagée de voir son enfant se remettre rapidement de ce malaise.
Adam enjamba une rigole et rattrapa Ismaïl, ils passèrent au travers des frondaisons de quelques oliviers puis débouchèrent tous les deux avec surprise sur des vergers d'arganiers, de palmiers et d'amandiers. Les champs tapissés d’herbes, d’arbustes divers et de hennés aux couleurs vert bouteille étaient ceint, de part et d’autres d’un sentier taillé dans une argile dure semi dépierrée, d’un muret de terre rouge imprécis mais ferme construit à même la paume de la main mélangé à du feuillage morts. A cette heure de l’après-midi, les habitants congédiés par la forte chaleur s’assoupissaient dans leurs demeures attendant la prière de l’instant pour sortir et aller prier dans leurs mosquées. Seuls les criquets et les insouciantes cigales peuplaient le silence faisant la répartie aux roucoulements des ruisseaux et aux craquements des pierres sous la brûlure du soleil. Adam s’est sentie apaisé par ce paysage, une forme de plénitude gagna son cœur et le fit approcher d’Ismaël, un mouvement spontané qui les rendissent égaux dans leurs humanités malgré leurs différences d’âges. La nature et les êtres sont tous les deux sur la même roue de la réincarnation, ils viennent au monde ensembles le quittent de la même manière puis reviennent avec des visages différents. La mort c’est l’Homme qui l’a inventé il n’y a que la Vie.
Ici au crépuscule, quand le paysan rentre chez lui, conduit son troupeau à l’étable, attache son mulet dans la stalle, même dans le silence de la nuit il reste toujours de la chaleur, l’ardeur du vivant ne s’arrête pas, elle fait hennir, piailler, aboyer et le paysan dort. Dans son sommeil, il pense à la terre. Il est absous d’erreurs, repose dans une quiète certitude malgré les vicissitudes des jours. Lorsqu’il pousse la charrue et que le soc commence à retourner la terre, à creuser son sillon, il sait que c’est la Mère nature qui a choisi pour lui le lieu et le moment parfait pour remplir son rôle de paysan. Il le sait, il doit le savoir.
Ailleurs une fois le moteur de la voiture éteint, c’est du métal mort qu’on laisse derrière nous, on n’entend oualou lorsqu’on rentre chez soi, l’être ne partage rien avec la machine, l’acier et le fer mais il continue à sentir l’huile et le gasoil et la nuit dans son sommeil il pense au prix du pétrole. L’humain c’est de l’ADN mais pas seulement, c’est une émotion mais pas seulement, il est plus que cela, il le sait, mais ce qu’il est, est plus vaste que ce qu’il pourrait savoir. Mais cela, il ne le sait pas encore car le merveilleux a quitté son cœur.
Voyage vers Tadighoust au-delà des montagnes du Haut-Atlas. Un village en pisé resté millénaire, fixé dans le temps par une fibule berbère malgré la résurrection des Hommes, construit par la promesse des vents et le vœu des êtres trépassés.
La tristesse assombrit le visage de Mikaël. Vraisemblablement Ismael n’était pas encore au courant des raisons qui ont déterminé leur père Adam à partir habiter loin de Tanger à l’oasis de Tighmert dans la province de la ville de Guelmim. Mikaël savait quant à lui que le projet de son père d’aller s’installer dans une autre contrée ailleurs que sa ville natale n’avait pour seul but que de préserver leur maman des regards des gens et de leurs potinages venimeux quand ils seront au courant de ce qu’il est advenu de leurs fils, c’était juste une question de temps avant que les langues ne se dénouent et qu’ils deviennent ainsi la cible des pires vilenies. Alors sous prétexte de calmer l’irritabilité de son épouse dû à sa ménopause et aussi à leurs amour égal qu’ils éprouvaient pour le Sahara, il a décidé de partir pour quelque temps chez leur ami Jamil, le conservateur de musée des nomades à cette oasis puis ils se sont établis dans une demeure ombragée par une dense palmeraie à l’orée d’un lit de rivière. C’est de leur retour de Cap Juby en direction de la ville de Guelmim qu’ils ont eu l’occasion de faire la connaissance fortuite de Jamil.
Très tôt le matin, au deuxième jour de leurs arrivés, Mikael, dix ans d’âge à peine, avait réveillé sa mère, il souffrait d’une surinfection de piqûres multiples sur les chevilles et les jambes, les démangeaisons étaient si fortes que des tâches de sang maculaient ses draps, mais lorsque une légère fièvre et une pâleur apparu sur le visage de l’enfant, la famille s’alarma et prit la route en direction de la ville la plus proche de Tarfaya, Guelmim pour trouver un médecin.
Les trois cents quarante kilomètres qui les séparaient de leurs destinations étaient tracés dans une géographie étrange, un pays montueux de mystère, le monde autour d’eux était sans conteste différent de celui du nord, gravé dans des plaines arides aux couleurs de corail, la route filigranée dans un sol aux éclats aurifères, la croûte de la terre plissait et déplissait au gré de montagnes majestueuses presque sacrées, au gré d’un désert extrême, dévorant, ponctué de tamaris aux feuilles ramollis par la chaleur. Au versant des djebels et dans les creux des vallées où se dessinait des lacets de chemins, saillait de la terre de petits amas de villages que l’on prenait de loin pour des pierres taillées dans le roc. Là-bas on imaginait bien des hommes la peau fripée et revêche, battre la terre en pisé pour ressusciter leurs demeure vaincues par les vents chauds du Sahara, chevauchant les dunes flottantes pour aller paître leurs troupeaux de chameaux et de chèvres.
Rien n’est plus propre et essuyé de toutes laideur que le désert, chaque poignée de sable coule en fine poussière d’éclats de roche dans les veines des hommes qui, même rabougris par l’hostilité de l’environnement, resteront millénaires, rupestres, éternels, plantés comme des acacias dans leurs terres acceptant ce qui leurs arrivent entre un sourire et un malheur.
Adam, tout le long de son voyage, avait les tripes noués par une telle splendeur, la beauté écrue des paysages triomphait sur chaque sentier de la démesure de la solitude. All we are is dust in the wind...chantait Kansas.
L’homme aspire au changement certes, mais le souhaiterai-t-il vraiment, le voudrait-il lorsqu’il comprendra tardivement peut-être que la nature l’appelle à n’être que lui même et rien d’autre et ce qu’il créera ne sera au fil des siècles qu’un monticule de sable au mieux une pâture pour les vents. Lui qui vient de l’Univers est-il si différent de ce galet qui vient de la montagne pour ne pas narguer la corde raide sur laquelle il croit marcher et faire volte face à ses craintes, ses espoirs puis se mettre à courir et à danser, lâcher tous ses effort à vouloir augurer les bons et les mauvais signes de la vie essayant de savoir à quel moment, la tête empesée par le poids du joug, le corps par le fouet des émotions, il va tomber pour se relever , à quel moment, noir d’inquiétude, va-t-il devoir composer, avec la raison, le religieux, le profane, la rue, les gens et la nation, happé, froissé par les événements comme une poignée de feuille morte prise dans les courants, puis brouter par le quotidien et jetée dans la chyme de l’ogre.
Oh! Cet ogre qu’il est beau! Si délicat dans le mensonge, si léger et habile dans les convenances, collé à la rumeur comme l’ombre à son corps, il est le peintre dans le frais des inimitiés camouflées, des jalousies inavouées. Oh! n’ayez aucune crainte, nous sommes tous de près ou de loin de sa race, il ne décantera jamais assez et suffisamment pour vous faire extorquer la vérité au bon citoyen que vous êtes. Allez! Vous êtes si loin, bien abyssaux, des gentilhommes distinguées reclus sous les strates géologiques assexuées du bienséant pour que deux ou trois pelletées suffisent à vous faire revenir de votre sombre secret!.....Soupçons…..Moi vous dévoiler! Comment à mes êtres haïs les plus aimés de mon cœur pourrais-je briser leur promesse à l’ego, pénitent pécheur qu’ils sont, de rester dans l’oubli et de garder secret le chemin du souvenir. Non je ne permettrais à personne de vous rappeler à l’unité séparés que vous êtes. Mais bien sûr que vous êtes des gens compatissant quand il s’agit d’acheter des fleurs pour partager la peine de la femme convoitée, du voisin qui vient de trépasser. Mais il faut être sûr qu’il a bien les pieds devant! Pas avant. D’abord les asticots, ensuite les fleurs. L'appétit de la mort calmée, ses yeux qui nous lorgnaient distraient pour un temps par la chair d’autrui, nous donnent un répit momentanée un nouvel élan grâce à l’arrêt de l’autre.
J’ai perdu l’appétit, je viens de m’apercevoir qu’il y a un cheveux dans ma soupe! Beuh!
J’ai pris cette photo lors de mon long voyage au pays berbère.
Je suis cela, cet enfoncement dans la mémoire, sa profondeur, à la fois claire et mystérieuse. Qu’il est beau mon pays!!
Cela me rappelle aussi les symboles et arabesques de notre regretté peintre Ahmed Cherquaoui, lui qui a su travestir la parole qui s’envole dans les airs, en une trace qui caresse, aime et s’enracine dans la terre.
Mickael entreprit d’ouvrir la lettre, il y avait deux plis l’un portait la mention à mon père l’autre à toi. Avec respect il ouvrit la sienne et commença à lire:
Cher Mickael,
Même s’il n’y a pas longtemps qu’on s’est parlé au téléphone j’espère que cette lettre te trouvera au beau fixe de ton moral. A Paris je vais souvent à la bibliothèque et cela me rappelle nos souvenirs de lecture, les choix que notre papa nous proposait, c’était souvent Saint Exupéry n’est-ce pas? Nos exercices d’articulations qu’on peinait à prononcer à haute voix malgré les supplications de maman à venir déjeuner avant que le repas ne refroidisse et remplir la bouche par des mets autres que les mots. Parfois aussi papa se faisait un plaisir de nous taquiner, nous voyant aimer la langue de Molière il nous disait “Rouler les “r” mes enfants, rouler les “r”, n'essayez pas d’être plus français que les français” Il me vient à l’esprit maintenant que je t’écris ces mots, notre voyage à Tarfaya, Cap Juby avec papa, mille trois cent kilomètre rien que pour visiter le musé de Saint Exupéry, et notre maman dépassée par cette virulente passion qui lui ravissait son mari lui demandait naïvement pourquoi il ne l’aimait pas autant qu’Antoine ! Ce que j’ai appris de papa c’est que nous ne pouvons jamais aimer vraiment sans passion, s’égarer furtivement de notre raison sans nuire à l’autre, sans inclination du corps sans désordre psychique est ce qui fait de nous des êtres humains à proprement parler. Aimer sans passion n’a d’égale que l’indifférence. Cela ne te rappelle-t-il pas ton épisode à la mosquée? Ah! combien j’étais fière de toi Mikael, avoir un frère qui pense par lui même et qui n’a pas peur de braver ouvertement la croyance de ses semblables. Là aussi parce que mon père nous aimait passionnément que malgré sa notoriété publique d’homme pieux et respectueux des valeurs de sa communauté il n’a pas hésité un instant, du fait que que tu sois jeune et que tu avais alors toutes les raisons de te poser des questions au sujet de ce qui touchait ton peuple, à prendre ton parti, d’abord en te cachant pour quelque jours au village de nos aïeux et partir ensuite chercher une entente avec le caïd et le responsable du culte de la ville, des conciliabules savamment orchestré à l’époque par maman auprès des épouses de ces derniers. Ah! quel temps, vous tous m’avaient montré le chemin.
Bien que Paris soit belle, je n’arrive pas à me défaire de ces souvenirs, c’est très tôt et je n’ai pas encore à vrai dire trouver de meilleures occupation, à part l’intérêt pressant que j’ai à débuter mes études et l’emploi temporaire de plongeur que je viens d’avoir récemment dans un restaurant italien, mon aire méditerranéen n’y était pas pour rien pour me faire accepter dans ce lieu. les annonces ne manquent pas au RU.
Voilà, comme tu peux le constater j’ai écris une lettre à papa et je voudrais bien que tu la lui remettes par toi même, la lui envoyé par courrier c’est courir le risque qu’elle tombe entre les mains de maman et ça je ne me le pardonnerais jamais, après j'espère de tout mon coeur qu’elle se ralliera sans peine à mon choix de vie. je sais que tu es à la recherche d’un travail et c’est pour cela que je t’ai envoyé de l’argent pour le voyage si cela ne te contrarie pas. Tu peux en disposer à n’importe quel guichet bancaire mais vas-y plutôt à la poste ils connaissent bien papa pour avoir travailler là-bas.
je compte sur toi pour me faire part de leurs nouvelles, d’un si loin dépaysement ailleurs que la ville de Tanger. Papa est fou!
Merci Mickael, dès ton retour tu m’appelles chez mon voisin de palier comme la fois passé.
A très bientôt et bon voyage
Affectueusement ton frère qui t’aime.
Mikael et son frère Ismaël aimaient beaucoup lire et écrire, mais l’oppression d’une langue, quand elle ne vous appartient pas mais que vous avez choisi d’écrire avec, devient comme un rempart difficile à enjamber, elle vous refuse l’imaginaire, vous rappelle votre suffisance identitaire qui cloisonne chaque jour le local où vit le monde, attise les flammes du cœur, entérine les souffrances. Dans ces situations, les deux frères se disaient souvent, il faut qu’on écrive un récit, un poème, pour montrer à cette langue que nous ne sommes plus ses esclaves.
Comme des enfants alors, ils déposaient une goutte d’eau sur une graine de maïs, le ciel regardait les nuages et les nuages les regardaient, le vent emportait leur graine et quand le temps avait suffisamment crayonné sur leurs corps, ils revenaient pour voir leurs cultures. Peut-être alors pensaient-ils avoir le courage de franchir les remparts, et de passer finalement du clos à l'ouvert.
Mais leur cœur ne pouvait attendre. Quand ils s’éveillaient, il faisait encore nuit dans les mots, la langue, leur compagne, n’était pas encore là, c’est une sultane infidèle, elle découchait et traversait des contrées bien lointaines et lorsqu’elle revenait elle leurs disait avec son haleine parfumée :
« Avant de me prendre dans les dédales de vos joies étranges, apprenez-moi votre langue »
Ils lui répondaient en chœur, avec la hantise de la perdre et le plaisir vital de se repaître de son corps : « nous ne connaissons que la tienne ».
Ce texte est une réédition. Je l’ai publié en Février 2014, il y a de cela maintenant sept ans, j’étais alors proche de mes cinquante quatre ans et, sans le savoir encore, car rien ne le présageait, j’allais bientôt faire l’expérience d’un sublime et miraculeux malheur! Et vous le savez autant que moi, à quelque chose malheur est bon. Mais ça, c’est une autre histoire!.
Donc pourquoi je republie ce texte?
Eh bien quelques amis m’ont fait la délicieuse remarque que mes écrits étaient apparentés à ceux d’un poète rebelle, anarchique! eh bien dites-moi!!!
Je me suis donc demandé pourquoi ne pas republier ce texte, c’est mon manifeste presque un crédo de ma façon d’écrire, une épithète inscrite dans ma couche Malpighi et qui donne le mouvement à tous mes crayonnages.
Je dois quand même vous demander s'il vous arrive de temps en temps de rajeunir vos notes ! Allez donc voir ces délicieux propos de Georges Canguilhem, je ne peux me résoudre à garder pour moi seul cette substance!!
Il dit:* La raison est régulière comme un comptable mais la vie anarchiste comme un artiste* CQFD
Continuons, d'abord les précisions suivantes:
La chose que je déteste le plus au monde c’est d’écrire pour paraître plus français que les français eux-même.
La langue française n’est pas ma langue maternelle, elle s’est toujours refusé à moi, elle a dressé tous les remparts possible pour m’éloigner d’elle, a dit non à mon désir de paître auprès de son corps pour manger les mots d’automne qui tombaient le long de son corps, c’est une sultane infidèle, elle couche au Bénin, se réveille en Côte d’Ivoire déjeune au Sénégal et rare quand elle se souvient de moi, mon sérail est triste quand elle n’est pas là. Je suis un amant cocufié!!
Parfois son haleine aux reflets dorés prend la forme de volutes au parfum rouge citronné et à peine je les ai dessiné, voilà qu’elle part vers de nouvelles contrées!!
Non, Non et Non!!!! Tu ne feras jamais de moi un peine-à-jouir, femme je te répudie!
Alors j’ai décidé de l'étriller, de la mettre à mal, de la tyranniser, adieu les propositions, les adverbes et les conjonctions, bien fait pour toi! Je m'arrangerai avec le reste!
Maintenant le texte en question:
J’ai découvert l’encre et la forme des lettres, mais je n’ai jamais appris à écrire,
L’assemblage de mes mots ne forme pas une phrase mais plutôt une trace littéraire,
Ma difficulté à communiquer est devenu avec le temps l’objet principal de mon expression,
Mes phrases sont une travée de strate, des tranchées derrière lesquelles je me mets à l’abri,
A l’abri du lecteur sérieux en quête de sens, prêt à me dépouiller de mes vérités,
C’est pour cela que je suis un scribe dissident, à la fois mobile et sédentaire, essayiste et fictionnel,
Exprimer l’indicible est ma seule quête qui restera à jamais inachevée,
Mais je n’y peux rien, dans le supplice existentiel tout est déjà décousu
Ces écrits sont nés d'un besoin pressant d'aller vers l'autre, de fondre dans un creuset qu'est ce support des éléments épars exprimant une certaine
singularité.
Mais l'homme a vite fait de montrer sa joie une fois il est dans la lumière alors que les vrais auteurs, sans qu'il ne s'en aperçoive, sont dans l'ombre.
Ces écrits ne sont donc que l'expression harmonieuse d'innombrables acteurs proches ou lointains qui ont peuplé mon esprit et qui maintenant revendiquent la liberté à leurs créations.
Je passe mes journées à mutiler mes cigares à décapiter leurs têtes à allumer leurs pieds à déguster leurs tripes, mais l'écriture n'est-elle pas une vertueuse souffrance qui s'ingénue avec
bonheur à vous faire oublier votre égo à décliner le constat social et à créer en vous le désir de dissimilitude?
Notre société a circoncis les hommes dans leurs corps, le fera-t-elle pour le prépuce de leurs coeurs et de leurs ambitions?
La vitole bleue dédie ses thèmes à la ville de Tanger, ma terre ma nourricière, au cigare ce plaisir perle des dieux fait par les mains des hommes, et enfin à mes écrits vérités sur mes parures
qui donneront je l'espère suffisamment de plaisir aux lecteurs.
Comment se fait-il qu’un homme quinquagénaire simple et ordinaire, père de deux enfants et œuvrant dans le secteur bancaire tombe, sans suffisance aucune, dans le chaudron d’Epicure ?
A vrai dire j’essaie de ressembler à ma mémoire, c’est une conteuse passionnée, qui m’a tatoué le cœur par le premier clapé de sa langue sur le palais pour me raconter le plaisir du cigare, et la première lueur blanche de Tanger sans laquelle tous mes devoirs envers mes plaisirs ne seraient qu'un amour futile.
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