Le Marabout de Henry Matisse
Rue Sidi Ahmed Boukoudja à Tanger Casbah
Son appartement, un studio de trente six mètre carré presque mansardé pour jeune couple à peine marié ou une personne cherchant à débuter dans la vie sans trop de frais, un espace polyvalent, indifférencié où l’évitement n’est pas encore nécessaire, un regard de biais, une aire où demeure la solitude à la fois amante vive et cruelle, c’est sa solitude, la sienne. C’est comme cela qu’il s’attribuait ce logis, aussi essayait-il d’éviter un potinage inopportun et salace.
La proportionnalité du lieu vous mettaient rapidement à l’aise, la couleur crème légèrement patinée des murs contrastait avec le vert andalous des syngoniums aux nervures blanches alternant sur les feuilles, les grandes feuilles de monstera plongeaient la pièce jouxtant une baie vitrée dans une ambiance exotique, toutes les plantes qu’il avait chez lui retenaient avec délicatesse la lumière du jour qui venait d’une belle terrasse orientée vers l’Est surplombant la grande avenue de Fès. A voir les objets qui emplissaient l’espace on était vite fixer sur la psychologie du locataire : c’est le type du cadre moyen: Tableaux largement reproduit de peintres connus, livres dans une édition de grande masse rangés dans une petite bibliothèque à cinq étages, dictionnaire, une encyclopédie incomplète, deux fauteuils club face à un buffet couleur bois forêt à quatre portes sur lequel est posé une télé, chaîne hi-fi compacte, quelques disques en vinyle, cendrier et télécommande sur une table basse, quelques journaux.
Mais il avait peur, oui une peur bleu le prenait au ventre à chaque fois qu’il empruntait les escaliers pour descendre, il témoignait en cela une vrai compassion à Raskolnikov ce pétersbourgeois qui logeais une mansarde au dernier étage de l’immeuble, éprouvait la même angoisse quand il glissait en colimaçon au travers de l’édifice où il habitait, a vécu le châtiment d’être incompris par les siens puis a fini par commettre un crime.
Passer par les cinq pallier avant d’atteindre la lumière d’entrée de l'édifice est une épreuve psychologiquement difficile, une vraie ordalie. Chaque étage était infesté de commérages comme le bruit de millier de cancrelat qui s’abattait sur un morceau de viande pourri, les absurdités de la vie, l'échange de phrases de convenances et hypocrites, les médisances qu’il imaginait entendre à son endroit sur sa situation à lui, le manque de travail, la pauvreté et plus que tout encore qu’il haïssait c’était le repaire de la mégère au rez-de-chaussée.
Cela faisait plusieurs mois maintenant, depuis que ses parents sont partis pour le sud du Maroc, qu’il n’a pas reçu la visite de quelqu’un. Sa mère s’arrangeait souvent du mieux qu’elle pouvait après s’être libérer de ses tâches ménagères de lui rendre visite. Son père, n’a jamais voulu quitter les quartiers de la vieille ville pour venir s’installer au centre parmi les bétonnières comme il aimait à dire. C’était pour lui une action purement bourgeoise que d’emménager vers la ville d’aspect européen, brocanter la demeure de ses aïeux pour un trois pièces, une boîte tout juste fonctionnelle, une machine à habiter comme aurait dit le Corbusier privée de toute confession, sans âme ni mémoire, c’était à tous propos non envisageable.
Il était un enfant de la médina il lui appartenait, changer les choses ne servirait qu’à rendre sa famille malheureuse. Cinq fois par jour il prenait la direction de l’Est pour faire sa prière, chercher le Nord n’a jamais été son problème, c’est une question civilisationnelle, scientifique, sa foie n’en n’a pas besoin mais il comprenait. Il se rappelait son grand-père, le père de son père qui lui disait:
« Ecoute mon enfant, les gens qui habitent la ville européenne sont des mécréants. Habiter dans des avenues en lignes droites ou perpendiculaire affublées de sens, de directions est une offense à notre créateur car le sens nous est donné uniquement par Lui. Notre conception de l’espace est en tout égard respectueuse de notre croyance, celle de croire entre-autres au retour de notre prophète Issa fils de Mariam et laquelle nous permet de porter en nous avec joie cette dimension cachée de l’éternel retour, du temps répétitif et circulaire, comment donc avoir foi en cela et habiter des lignes rectilignes dont on n'en reviendra peut-être jamais. L’espace pourrait certainement influencer ton appartenance mon enfant. Regarde notre médina ses venelles sont sinueuses, pleines de chicanes et d’impasses, les portes des maisons sont intimes et révélatrices de la catégorie sociale de leurs hôtes, alors quand quelqu’un nous demandes après un lieu on lui communique uniquement l’emplacement mais jamais la direction, c’est de relais en relais en implorant l’aide de Dieu par la formule Inchallah qu’il peut atteindre le lieu recherché."
L’atmosphère y était pâteuse, pâlissait son regard, alourdissait ses paupières, l’humidité chargée des embruns de la mer du fait de leurs forte proximité au débarcadère donnait du fil à retorde à son épouse pour améliorer l’intérieur de sa maison en peignant à la chaux les murs ignorés par les rayons du soleil. Il lui était encore impensable de se défaire des cris des mouettes rieuses, des cornes de brume des bateaux qui, le temps aidant, s’est mis à en reconnaître même les ports de provenance, Algésiras, Gibraltar, Cadix….Non, pour rien au monde il ne quittera sa Médina ses amis voisins toute confession confondue.
(A suivre Episode V)