Humeur sombre - Marianne von Werefkin
Mikael revenait petit à petit à lui-même. Une voix lointaine, caverneuse, l’appelait à remonter en surface, sa vision ployée jadis par son propre isolement se détendit comme un arc lesté de sa flèche et recouvrait à présent la mobilité de son regard. Enfiévré par sa quête d’une liberté adverse et pensante, malgré les prémisses d’un hiver froid, il se mit debout et commença à se déshabiller pour rester en caleçon et débardeur. Son esprit manifestement copulait avec l’instant, aussi sa peau nécessitait pensait-il un examen profond, son contact avec les cosmopolites, ce réservoir d’acarien, lui a fourré la gale et creusé un long et sombre tunnel dans sa peau comme un méchant vermisseau.
Maintenant, réveillé de cette incubation sordide, il jeta au rebut toutes les étoffes qui l’ont mal habillées, rendit par toutes ses tripes ce tord-boyaux empoisonné, il n’y a pas pire taule que vivre avec une âme tourmentée.
Oui, se dit-il, pourquoi ne pas rester nu, nu comme un ver et rendre gorge de toute cette insanité que le monde s’est efforcé à en tapisser le corps, l’âme, employant indistinctement ses juges et ses saints dans sa tâche cousue au fil blanc. Pourquoi chercher à augmenter la nature de ce dont elle n’a jamais eu grand besoin, toutefois si vous êtes dans la veine d’apprêter les choses, de les accommoder à votre faible esprit prenez vos truelles et platoirs et allez lissez la surface des eaux pour en diminuer les remous.
Ah, bon dieu d'bon dieu!! Pourquoi suis-je assaillie par ces idées, elles auraient mieux fait de me venir un autre jour, je ne suis pas encore prêt pour ces imbécilités, et ce mal de tête! qu’est-ce que je peux détester les faiseur de vérités, ils veulent me persuader qu’il y a un monde meilleur, moins négligé, mieux préparé qu’il suffit de quêter par les moyens qu’ils sont prêt à mettre à notre disposition, une sorte d’échelle pour passer par la mansarde alors que la porte est grande ouverte devant chacun. Il est vrai que je n’ai eu de cesse par le passé de vouloir me persuader, à cause de la déontologie bien pensante des hommes sous l'apparat rutilant de valeurs universelles, qui en fait cherchent à déconstruire notre maisonnée, que ce qui est en haut est bien supérieur à ce qui est en bas et ce qui est là-bas n’est pas encore ici. Que nenni!
Ah, bon dieu d’bon dieu, pourquoi j’ai partagé ce verre de vin avec ces marcheurs à reculons, pourtant je m'étais promis par le passé de ne jamais me laisser entraîner par cette logomachie, toute ma tête embrumée par les ragots. Mais à quelque chose malheur est bon n’est-ce pas! je vais vous faire un aveu, il n’y a pas mieux qu’un homme ou une femme qui se trompe, car se tromper est le privilège de l’homme, avez-vous jamais vu de votre vie un animal se tromper!!! évidemment que non car l’animal n’a pas le pouvoir de se perfectionner! Alors laissez moi à mon cru! cessez de chercher à dépersonnaliser les gens , à les déposséder de ce qu’ils ont de mieux dans la vie c’est à dire leurs personnalités , à leurs faire accroire que moins ils ressembleront à eux même et plus ils avanceront dans le progrès. C’est ma chaumière, laissez-moi la construire à ma manière!
Mais continuez cependant vos diableries, à nous pétrir de morale, nous égarer entre bien et mal, bon et mauvais, innocents d’aventure mais coupables sûrement! à jamais!
Je vais vous dire, j’avais les yeux fermés, les oreilles bouchées totalement désunis pour aimer l’Unité de l’Univers créateur.
In perpetuum nous sommes dans la grâce, dans l’immensité.
La lettre était posée sur la table basse, il la regarda de biais et décida de l'ouvrir, concluant que si son frère avait agi de la manière qui le réconfortait le mieux dans sa vie, personne n’avait pour autant le droit de l’incriminer ou de le juger. C’est un manque de compréhension de notre part, nous sa famille la plus proche et ses amis, nous dépensons chaque jour que la création a fait une énergie incommensurable pour voiler la vérité faisant semblant d’aller mieux alors que la souffrance sourd comme une fontaine du fond de notre âme, jaillit des pores de notre corps comme un intraitable fumet de fenugrec. C’est notre agissement machinal qui a fait que notre vie soit devenue réductible à un jeu pathétique de conflits sociaux muet et fratricide, nous veillons à rester des hommes normaux, aux chevet des pensées ordinaires, veules respirant un grand vide pavoisé de narcissisme, assis en marchand hédoniste devant notre étalage de faux plaisirs, la pensée définitivement subordonnée à celle de la masse et nous y répondons par la masse tout grossièrement sans aucune subtilité!! Éblouissez les yeux et les oreilles de la multitude et vous aurez réussi votre pot pourri!! S’en est fini du sigle S.P.A pour Socrate Platon Aristote maintenant c’est Sexe Pouvoir Argent. Toutes nos pensées seront bientôt voilées d’une brumeuse couardise.
Ciel! aidez moi à nuire à la bêtise*.
Je défendrai le choix d'Ismaël, je préfère mourir pour une tragédie que vivre une dramatique comédie.
(*)formule de Nietzsche dans Le Gai savoir