Nature morte sur toile Saâd Ben Cheffaj 1999
Mais avant de me livrer à vous, je dois absolument mettre au clair quelques situations qui, sans un désentortillement précoce, pourraient fâcheusement nous brouiller à l’avenir!
Permettez-moi d’abord d’écrire en français tel que je l’ai appris à l’école ou au collège. Vous avez compris, je ne désire pas noircir cette page moyennant un français plus français que celui des français eux-mêmes, cela serait de la chirurgie linguistique, je ne m’y connais pas, et de surcroît une perte de temps, une terrible erreur, puis qu’auriez-vous penser de moi si je m'étais vêtu d’un habit qui ne serait pas le mien!. Je suis marocain ayant appris cette langue sur les bancs de l’école publique point à la ligne. D’ailleurs ne vous en faite pas, tous les colons sont partie, personne ne nous jugera s’il nous arrivait, par optimisme, de commettre des erreurs.
Alors, je me suis promis de vous dire la vérité, c’est à dire tout vous dire, enfin ce n’est pas kif-kif mais bon. Un ami de longue date m’a cependant ravisé au dernier moment.
Mais que t'apprêtes-tu à faire!! M’a-t-il dit, c’est facile d’ennuyer les gens, sais-tu! Il suffit de tout leur dire en ne gardant rien pour soi-même. Tu seras étonné de voir alors à quelle vitesse ils chercheront à te fuir ou à changer de trottoir s’ils leur arrivent par malchance d’être sur le même côté que le tien! Et si tu n’arrives pas à te retenir à ton âge c’est, me semble-t-il, un problème de prostate! Tu dois consulter!
Ce n’est pas une confession publique! Je souhaite seulement m’ouvrir aux autres!
Ecoute, midi est passé! Ton démon ne reviendra plus, mais t’étriper en publique tu sais ce qui va se passer, une fois l’odeur du sang aura frôlée leur narine, de la ripaille voilà ce que tu seras. Alors calmos!
Et que suggères-tu?
Pour que tu la fermes!?
Non!!! Pour rester en société.
Mais quand est-ce que tu vas te réveiller à la fin! Vivre en société c’est accepter d’être mutualisé, d’exister au sein d’une association de syndicat avec procès-verbaux qui pointent à chaque fois tes origines, c’est à dire le café où tu as tes habitudes, ils n’ont que faire de ta vérité elle est vraiment loin de leurs réalités! Ne viens pas me chercher avec si peu, tu ne seras jamais orwellien! Jamais, tu entends! C’est désespérant de causer avec toi! Il n’y a malheureusement qu’une seule formule, tu dois prendre conseil auprès de Jean-Baptiste Clamence, le juge-pénitent, tu as certainement entendu parler de lui je suppose, il passe toujours par le pont Royal à une heure du matin.
Quoi, le gars du “plouf dans la Seine''!!!
Oui exact!!
Te rends-tu compte de ce que tu me demandes là, d’aller m’instruire auprès d’un homme rongé par la culpabilité! D’ailleurs c’est à Paris, les restrictions sanitaires actuelles ne me permettrons pas de voyager. Je pense par contre que tu es au fait des choses et je te prie de ne pas me laisser dans l’ignorance!!!
Je te rappelle au cas où tu l'aurais oublié que rares sont les arguments valables qui nous innocentent, un florilège en revanche nous rendent coupable. Alors, ne sois pas si sévère envers Jean-Baptiste. Bon soit! J’ai rencontré Clamence, moi aussi comme toi j’avais dans la bouche le goût de la vérité, cette passion qui me brûlait du dedans de mes entrailles, je lui ai fait part de ces sentiments et voilà ce qu’il m’a répondu:”N’hésitez pas: promettez d’être vrai et mentez le mieux possible. Vous répondrez à leur désir profond et leur prouverez doublement votre affection.”
***************
N’en soyez pas affligés, dans mes écrits je ne vais pas vous mentir, non, en revanche je m’en vais plutôt vous dire la vérité sur mes parures.
Pour ce qui est maintenant de la langue, j’ai saisi un reflet d’intelligence dans certains propos de Kamel Daoud lors d’une conférence il disait à peu près ceci: “Adopte un style de manière à faire oublier au lecteur la langue dans laquelle tu écris!"
Vous ne trouvez pas que c’est génial!
****************
Bon maintenant venons-en à la toile!
Je me demande pourquoi le peintre s’est-il volontairement refusé de nous offrir une perspective qui aurait révélé à mon goût une profondeur narrative, cette distance qui raconte le mystère du temps, son avenir. J’ai besoin personnellement de cette projection, ce fond intérieur, cette échappée m’aurait éloignée pour un temps de la superficialité du moment.
Malaise parce que l'austérité de l’image est flagrante, un inventaire d’objets posés sur un fond noir immature afin de les abstraire de la réalité. Je vous avoue que j’ai beau réfléchir sans arriver à me convaincre toutefois de la volonté lésineuse de l’artiste à nous offrir de meilleures promesses. C’est une image cruelle qui prive le spectateur d’une certaine forme de poésie, d’histoire
Ce ne serait pas intentionnel par hasard pour éveiller en nous ou de chercher ce qui nous exalte? Peut-être tente-t-il par la mouvance des plis de l’étoffe d’agiter notre regard, de désédimenter les reclus que nous sommes en nous invitant au voyage? Possiblement.
Ah mon dieu, qu’est-ce que je ne donnerais pas pour ressentir une proche présence humaine, cette figurine par exemple, ce corps féminin, qui donnait du volume au drapé, courant en milieu floral et vasques de pierres placés entre les arcades des Ksour à la recherche des branches du citronnier, de ses fleurs blanches pour les déposés de ses mains soyeuses auprès de ces citrons!
Le peintre est-il misanthrope, pourquoi semble-t-il hair tant les Hommes, refuse-t-il de les transporter avec éloquence et magnanimité loin de leur vécu quotidien? Croyez-moi j’ai de quoi l’en accuser.