Il m’arrive souvent, comme c’est le cas maintenant, de rester là pantois devant une œuvre artistique qu’elle soit peinte, sculptée ou même écrite.
Cette irrésolution momentanée tient du fait que ma disposition d’en parler, aussi ardente soit elle, reste souvent à demeure dans l’anti-chambre de ma conscience, dans l’attente du point de rupture, du choix de l’angle d’attaque, de constituer ce potentiel d’évasion nécessaire pour entrer dans l’oeuvre.
Pourquoi je dis cela? Pour la simple raison, et elle est de taille, que je n’aime pas représenter une œuvre mais la présenter. Faire une analyse en m’appuyant sur ce qui a été déjà dit ne m’intéresse pas! Je n’y gagne rien et il y a plus de mal que de bien dans le fait de taire ses points de vue.
L'œuvre de Drissi m’a un peu affecté, attristé même, c’est un bon début! Cela m’a pris plus de deux mois à regarder ses créations, j’attendais comme je l’ai écrit plus haut, ce point de ravissement, d'ensorcellement, cet état qui va me transporter vers la création “Drissiènne”. On appelle cet état dans notre langage courant Jedba. (rires)
Je vous livre donc ici un certain regard, ce qui m’a touché en étudiant de près les quelques créations de Med Drissi. Pour ceux qui sont intéressés par ce peintre, un livret instructif “Med Drissi, la satire du monde” écrit par Mr Farid ZAHI édité par la collection Marsam.
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Ce qui est vrai est-il toujours beau et bien et le laid éternellement cantonné dans le faux et le mal? Cet ordre de valeur est chamboulé, remis en question par les créations de Drissi.
Le laid n’est pas l’envers du beau, une erreur ou une déficience de la nature, le laid est un fait naturel autant que le beau. C’est ce que devait ressentir l'artiste à mon avis, c'est ce qu’il veut, entre autres, retranscrire sur sa toile.
Son pinceau insécure et tremblant à dessein, peint un corps informe, glouton et adipeux, composé parfois de masses géométrique cubique, un amoncellement de tesson de verre qui fait mal sous la peau, fracture après fracture, rien ne semble venir apaiser le regard du peintre. Traduit-il le regard d’une société douteuse et trébuchante, intéressée par le sexe et le genre, noyée dans les prescriptions religieuses déclamant du haut de leurs chaires l’impossible quiètude de l’âme? Cherche-t-il, par un fauvisme parfois affiché, à mettre à nu le corps féminin, à conquérir cette bâtisse mythique convoitée par tous les hommes? Les hommes ont-ils vidés ces corps de tout amour ou érotisme pour le réduire délibérément à de la chair cessible et négociable?
Voulez vous que je vous dise, je pense que toutes les femmes que Drissi a peintes sont belles, très belles même, néanmoins lors de sa transcription une forme de réalité a surgi de son pinceau malgré lui, une réalité qui exprime aussi bien le mal-être vis-à-vis de la société que de la femme d’elle-même!.
J’ai remarqué, en m’intéressant au dissimulé (Mohammed Kacimi aurait été d’accord avec moi) , que dans plusieurs de ses tableaux les objets ne sont pas représentés et que l’espace est décrit avec simplicité. C’est que l’objet est réversible même dans le temps, c’est à dire qu’il nous est possible d’intervertir sa position comme on veut et quand on veut, ce qui n’est pas le cas pour le vivant. Le corps humain ne peut échapper à la linéarité, à l’écoulement du temps, il n’y a malheureusement pas meilleur support qu’un épiderme jeune pour crayonner et écrire l’histoire d’une vie. Le peintre cherche par conséquent à retirer de la toile tout ce qui est susceptible de nous distraire de la vérité.
Le laid ce n’est donc pas de la déviance, de l’imperfection, le laid est le Vrai, le laid est aussi le Bon dans le sens où il nous impose à réfléchir, le bon dans le sillage d’une pensée qui s’emploie à comprendre la dégénérescence, de quoi est-elle le signe, son origine, ses implications.
Par ailleurs, les objets sont en quelque sorte le prolongement de notre corps, une inclination factice portée par une forme de désir. Or ces corps paraissent muets vides d’érotisme! Cette propension à développer le fétiche et le postiche leur a été donc soustraite par le peintre. Veuillez donc accepter le Vrai de la laideur telle qu’elle est, nous dit-il, ou circulez il n’y a rien à voir!
Souvent aussi, j’ai relevé que le masculin, l’homme, n’est pas suffisamment représenté. Je pense que le masuculin n’est pas laid mais il pointe vers la laideur la signifie et c’est encore beaucoup plus grave!
Je vous donne un exemple: Imaginons que vous êtes à table, vous dégustez un bon plat de couscous aux sept légumes et qu’à la deuxième pelletée, avant de porter la cuillère à votre bouche de ce ravissant Seksou, vous y découvrez dessus bien en évidence une patte de cafard! ou simplement vous avez en mangeant un cheveux dans la bouche! Beurgh!!!!.
Alors le repas n’est pas laid certes, mais c’est vraiment dégueulasse, dégoûtant! Les hommes peuvent ne pas être laid même beau, en revanche leurs actes et manières les rendent abject et ignominieux! Donc la laideur masculine on ne la représente pas, on la dénonce! c’est un rapport du masculin à son environnement, à sa culture, à sa société et non pas à son corps. Socrate était affreusement laid mais sa philosophie a éclairé tous les siècles.
Cette approche, parmi tant d’autres, est le fruit d’un simple désir celui de vouloir incarner mes pensées, leurs donner corps, ainsi par moment je pourrais les revoir, les visiter et surement les améliorés. Ici la laideur ne représente pas la griffe temporelle de l'existence sur le corps humain, non je la vois comme plutôt une souffrance morale, un mal-être que chacun à sa manière pourrait développer s’il le souhaite.